Les congrès féminins et féministes entre 1878 et 1915. Un réseau transnational de la cause des femmes ?

Alix Heiniger

Time and Place: Friday, 02.07., 09:00–09:20, Room 1
Session: Networks of Events

Keywords: female and feminist international congresses; social reform; feminism; network; end of nineteenth century; beginning of the twentieth century; internationalism

Dès le dernier tiers du 19e siècle, réformateurs sociaux, réformatrices sociales et spécialistes de diverses questions se rencontrent lors de congrès internationaux dans différentes villes d’Amérique du Nord et d’Europe. Ma présentation s’intéressera aux congrès internationaux féminins et féministes tenus entre 1878 et 1915 qui ont réuni des milliers de femmes et d’hommes engagé-e-s dans la lutte pour les droits des femmes (suffrage, droits civils, travail féminin, réforme sociale, protection de la maternité, etc.). Lieux d’échanges de savoirs et d’expériences nationales, ces congrès ont constitué des espaces de rencontres où se sont structurées des alliances entre militantes de différents pays, notamment par la création de branches nationales d’organisations féminines et féministes comme le Conseil International des Femmes. Bien qu’ils aient largement retenu l’attention de la recherche historique, il n’existe à ce jour pas d’analyse d’ensemble de ces congrès, lacune que cette contribution souhaite combler à l’aide d’une analyse de réseau formalisée. Cette dernière constitue une excellente approche pour saisir l’ensemble de ces congrès et identifier les connexions entre eux et les actrices qui jouent un rôle d’intermédiaires privilégiées ainsi que celles situées aux marges de ce milieu. D’autres espaces transnationaux de la réforme sociale ont fait l’objet d’analyses quantitatives (Leonards et Randeraad 2019), alors que les réseaux féminins n’ont pour l’instant été abordés que de manière qualitative, à l’exception d’un article pionnier sur l’État de New York (Rosenthal et al. 1985). Les travaux qui leur sont consacrés constituent de précieuses monographies élaborées le plus souvent à partir d’une organisation nationale ou internationale.

Cette contribution se fonde sur un corpus de 17 congrès internationaux féminins et féministes entre 1878 et 1915. Ils ont été recensés à partir de la liste publiée par l’Union Internationale des Associations (UIA) entre 1960 et 1964 (voir : Grandjean et van Leeuwen 2019). Seuls les congrès libellés « féminins » ou « féministes » ont été retenus. Pour ne pas étendre trop le corpus, les congrès consacrés à d’autres causes plus précises (suffrage, abolitionnisme, « traite des blanches », tempérance, femmes catholiques ou juives, etc.) ont été délibérément laissés de côté, mais pourraient faire l’objet d’une analyse ultérieure. Le congrès de La Hague de 1915 a été ajouté à la série recensée par l’UIA, pour permettre d’établir un lien avec l’après-guerre. Les participations des personnes qui prennent la parole lors des congrès ou qui en assument l’organisation pratique ont été répertoriées pour ensuite faire l’objet d’une analyse de réseau formalisée à l’aide du logiciel R et de son extension Igraph.

En examinant l’ensemble de ces participations, cette contribution montrera que les 17 congrès recensés forment bien un seul réseau. En dépassant l’approche monographique, elle mettra en évidence les alliances, les mécanismes d’inclusion et d’exclusion au sein de ce milieu transnational de la réforme féminine et du féminisme. A l’intérieur du réseau, il est possible d’identifier un groupe de femmes qui jouent davantage un rôle de pont (parce qu’elles présentent des indices d’intermédiarité plus élevés) entre les congrès et contribuent à les lier entre eux. À partir de là et en suivant les parcours biographiques, je montrerai comment la participation à ces congrès se révèle être une ressource pour certaines actrices à qui il revient d’organiser et de structurer les efforts de leurs collègues dans le cadre national.

Enfin, nous verrons que certains thèmes traités dans ces congrès sont davantage fédérateurs dans le sens qu’ils apparaissent plus régulièrement. Ils deviennent des sujets dominants de la réflexion autour de la défense des droits des femmes, alors que celles qui s’en saisissent occupent largement l’espace et disposent d’une position privilégiée pour diffuser leurs idées. Cette contribution examinera aussi les marges et notamment la place des femmes venues d’espaces au-delà de l’Europe et de l’Amérique du Nord. L’analyse de réseau constitue dans cette recherche un outil précieux pour établir l’existence d’un espace transnational de la réforme sociale féminine et du féminisme (qui privilégie toutefois les participations européennes et nord-américaines) et les rapports de pouvoir qui s’y jouent.

Références

Grandjean, Martin, et Marco H. D. van Leeuwen. 2019. « Mapping Internationalism: Congresses and Organizations in the Nineteenth and Twentieth Centuries ». In International Organizations and Global Civil Society, par Daniel Laqua, Wouter van Acker, et Christophe Verbruggen, 225‑42. Londres: Bloomsbury.

Leonards, Chris, et Nico Randeraad. 2019. « Circulations charitables: les congrès internationaux de réforme sociale (1876-1913) ». In Philanthropes en 1900. Londres, New York, Paris, Genève, par Christian Topalov, 435‑67. Paris: Creaphis.

Rosenthal, Naomi, Meryl Fingrutd, Michele Ethier, Roberta Karant, et David McDonald. 1985. « Social Movements and Network Analysis: A Case Study of Nineteenth-Century Women’s Reform in New York State ». American Journal of Sociology 90 (5): 1022‑54.